L'homme qui marche, Alberto Giacometti

Publié le par Cranky Flour

Vous ne rêvez pas, j'écris enfin l'article promis sur Alberto Giacometti. J'ai choisi de vous parler de L'homme qui marche (peu importe lequel puisque comme Munch et son Cri, Giacometti a fait plusieurs versions de cette sculpture) ... j'avais envie de vous surprendre avec un de ses objets surréalistes mais finalement, j'aime autant vous parler d'une de ses sculptures les plus célèbres.

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Alberto Giacometti (1901-1966) est un artiste Suisse. Fils d'un peintre, il réalise très tôt qu'il aborde l'art d'une manière différente. Plus précisément, il sclupte ce qu'il voit, et pas ce qu'il sait. Je vois bien à votre air égaré que c'est pas forcément très clair, et comme c'est capital pour comprendre cette sculpture, je vais vous raconter une petite anecdote.

Le papa du petit Alberto avait décidé de prendre en main l'éducation artistique de son fils en lui faisait dessiner des poires d'après nature. Il a donc posé sa coupe de fruits bien en vue sur la table un peu plus loin et a donné pour consignes à son fils de dessiner ce qu'il voyait. C'est à ce moment là que la "crise de la dimension" a commencé : alors que son papa, pour montrer l'exemple, dessinait de jolies poires bien dodues, qui prenaient toute la page, le petit Alberto dessinait des poires minuscules. Forcément, puisqu'il les voyait comme ça (puisque loin) et qu'il les représentaient d'après la réalité. Vous voyez là ? Pas la réalité de ce qu'il sait, comme papa (des jolies poires dodues) mais la réalité de ce qu'il voit (de toutes petites poires loin loin loin) !

Il faut aussi évoquer un traumatisme qu'il a connu pendant son deuxième voyage en Italie : la mort d'un de ses amis (âgé, quand même) sous ses yeux, au moment où il perdait les notions de distance, tout lui échappait. Cet événement participe à la fascination de Giacometti sur le crâne humain qui lui est pleinement apparut à l'instant de la mort de son ami. Il a par la suite passé de longues heures enfermé dans son atelier à essayer de dessiner un crâne ... La Crise de la dimension avait encore frappé et il voyait la distance entre chaque détail, insaisissable, s'étendre à l'infini. Même les portraits d'après des modèles vivants deviennent à ses yeux impossibles : à chaque instant le visage lui paraissait différent, chaque détail en perpétuel mouvement : impossible de représenter la vie dans toute sa complexité. À partir de là, pour faire simple, à travers tout ses portraits, on retrouve quelque chose d'universel commun à tous, grosso modo : le crâne.

Mais revenons plutôt à la chronologie, la "crise de la dimension" a été passagèrement résolue pendant sa période des "objets surréalistes". Ces mêmes objets, si vous avez été bien attentifs, dont j'ai choisi de ne pas parler ! *Rire sadique* Bon, oui, d'accord, si vous insistez, je vous dit quand même quelques mots. Alors à ce moment, Giacometti a différentes influences. Pour simplifier les choses, je ne vais en citer que trois (mais rien ne vous empêche d'aller fouiller un peu de votre côté hein) : les arts primitifs, le cubisme et Brancusi (ces derniers s'inspirant eux aussi des arts primitifs, c'était la mode ...). Tout ça se traduit par des "formes pleines et calmes" (à la Brancusi) et des "formes aiguës et violentes" (plutôt cubistes), la complémentarité des formes garantissant l'unité de la sculpture et leur dualité (associée parfois à des plans en biais) lui donnant du dynamisme. Et puis Giacometti commence a accorder de l'importance au socle : comme chez Brancusi, il est intégré à l'oeuvre. Ces objets surréalistes sont parfaitement lisibles au premier coup d'oeil, tout comme les "formes dépliées" cubistes.

La dernière chose à évoquer avant de m'attaquer à L'homme qui marche, c'est la période de la Seconde Guerre Mondiale, soit la période pendant laquelle la "crise de la dimension" est revenue d'un coup comme une grande claque dans la mouille (si je puis me permettre). Oui, subitement, Giacometti est revenu à la figuration (ou presque) avec des personnages microscules ... Comme vous le lirez de ci et aussi de là si vous vous renseignez un brin, sa production de l'époque pouvait tenir dans une boîte d'allumette.

Voilà, ajoutez à tout ça l'insatisfaction éternelle, la philosophie et le combat contre la matière et vous obtenez L'homme qui marche. Oui ... bon ... je schématise un peu (qui a dit "beaucoup" ? ne fais pas le malin Thinredline ! Je te vois !) mais le but est de vous donner envie d'aller plus loin ... Mais non je vais pas m'arrêter là comme ça si brutalement ! D'ailleurs je vais même vous prendre par la main et tenter de vous montrer pourquoi cette sculpture est une merveille remarquable et non pas un vieux machin tout noir vaguement humanoïde.

Allez venez ! Regardez le socle. Oui, lui aussi est important pour une raison toute bête mais qui rejoint ce que j'ai dit sur l'influence de Brancusi entre autres : le socle impose une distance par rapport à la sculpture pour que le spectateur puisse la voir avec un recul nécessaire ... Ce qui ajoute une notion de sacré (il impose en quelques sortes une distance "respectueuse") qui peut se rattacher à l'influence des arts premiers (les totems notamment ...).

Et regardez cette forme squelettique et étirée ... Nous revoilà dans le caractère universel du squelette, notre Homme qui marche est un homme lambda et là, je vois venir d'épineuses considérations philosophiques que je ne maîtrise absolument pas ... Alors je vais juste vous dire que Giacometti était fan (je me permet d'être triviale, oui.) de Jean-Paul Sartre et me demander avec vous où cet homme peut il bien aller ? et quel est son but ? Maintenant pour ce qui est du côté étiré, c'est le résultat d'un retour à une taille plus humaine après la guerre, Giacometti est resté dans la continuité de ses travaux.

Regardez aussi le dynamise qui émane de cette forme pourtant raide ... Et puis si vous arrivez à y distinguer, regardez la manière dont a été travaillée la sculpture, elle est rugueuse, griffée, comme si elle avait été rongée par l'éternité, il y a quelque chose de violent et de sensuel (si si) dans ces aspérités ... Ce qui m'ammène à vous reparler du combat contre la matière de Giacometti mais aussi de sa volonté de saisir, reproduire la vie, ce fourmillement toujours changeant.

Voilà, j'espère être parvenue à vous montrer que l'oeuvre de Giacometti est infiniment riche et qu'elle mérite toute votre attention ! Je rappelle aussi que tout ça n'est pas exhaustif.

Publié dans Exit

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C
Luna : ooh merci ! (oulala Kandinsky/Klee ... dur dur :-) )<br /> <br /> Nano : mm ... oui j'ai eu du mal à expliquer ça ... Disons que le socle est grand et donc qu'il t'empêche/te suggère de pas coller ton nez à la statue, d'avoir une vue d'ensemble ... Non ? ahem ... ^^<br /> <br /> Valérie : Les "statues" de l'époque mesurent *vraiment* quelques centimètres de haut ... Maintenant pour les statues/allumettes, au final c'est à peu près ça ... S'il avait procédé avec des demies-allumettes ... Mm ... ^^<br /> <br /> Benoît FAPM : contente de te revoir par ici, merci à toi<br /> <br /> Tous : oui oui oui, j'arrive, je vais voir vos mises à jour (et re merci hein)
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B
coucou, me revoilou.<br /> Bel article sur le maître. Et cette sculture, quelle splendeur.<br /> Merci miss
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V
hihihi ! Si y avait pas de socle, ça serait pas "l'homme qui marche", mais "l'homme qui dort". oupss !! Pardon.<br /> J'ai pas encore eu le temps d'approndir, mais ça se présente plutôt bien ton affaire. Ca m'a fait un peu rire aussi que tu aies cité une boite d'allumettes pour préciser sa petite taille... bah ! c'est très réducteur et tu vas peut-être bondir ! mais : deux allumettes pour le corps, une allumette par bras et par jambes... Bon, d'accord ! je sais ce qu'il faut dire dans ces cas là : "je sors ! ...heu ! oui, aux pas de course !
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N
Ouah, encore une fois c'était super intéressant. Merki ^^<br /> <br /> Par contre j'ai pas bien compris le paragraphe sur le socle (je suis à l'étranger, je mets donc ça sur le compte de l'effet JCVD, mieux connu sous le nom de "ramolisseur de cerveau").
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L
Merci mademoiselle Cranky, c'est chouette cet article, j'ai appris beaucoup de choses sur la vie de Giacometti et son oeuvre.<br /> Tu as l'air passionnée quand tu parles d'art.<br /> Bon maintenant je vais te demander une petite analyse d'un tableau de Kandinsky ou de Klee.. :D<br /> Bisou !
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